Aylita fut tirée de ses pensées alors que la voix l'appelait. Elle n'aimait pas lorsque grand-mère criait car le son de sa voix devenait strident et agaçant. C'était loin d'être plaisant mais elle se gardait bien de le faire remarquer. Avec beaucoup de difficulté, son regard se détourna du vaisseau pour fixer la petite maison qui avait été la partie résidentielle d'une ferme il y a bien longtemps.
Elle l'aimait cette maison avec sa porte vert foncé, ses volets de la même couleur qu'elle fermait dans un grand bruit lorsque la nuit tombait. Le rocking-chair sur le porche qui se balançait au gré du vent dans un craquement agréable. Les châles de grand-mère qui avait une odeur de vieux et les chaussures de bon-papa dans l'entrée qu'elle ne lui avait jamais vues aux pieds. Aylita adorait tout cela.
Elle se détourna totalement du champ et se mit à courir en direction de la maison. Là-bas l'attendait toujours tellement de choses, des choses qui ne pouvaient pas être en ville. Même sur ce vaisseau, elle en était quasi-sûre. Toujours pieds-nus, ses talons étaient noirs de terre et elle serait alors grondée pour avoir salit la maison. Mais sa course ne ralenti pas, ce n'était pas si grave que cela. Elle savait qu'au près de ses grands-parents, elle se sentirait toujours bien.
Bon-papa était sourd muet. Elle lui en voulait terriblement pour ça mais savait qu'il était gentil. Il souriait toujours d'un air paisible et la regardait avec des yeux mis-clos reposants. C'était lui qui avait choisit son prénom. La fillette se demandait toujours pourquoi est-ce que ses parents avaient laissé faire. Comment un sourd muet pouvait-il savoir à quoi ressemblait un prénom ? C'était un mystère pour l'enfant qui détestait le sien. D'ailleurs, seule sa grand-mère l'appelait ainsi. Tous les autres l'appelaient "Tally", indifférents à son véritable prénom. Sa grand-mère, elle, lui disait qu'avec le temps elle apprendrait à l'aimer mais elle n'en était pas sûre. Tally ce n'était pas si mal finalement. Et puis, Aylita s'écrivait bizarrement, d'une manière un peu phonétique. C'était sa maîtresse qui le lui avait dit, lorsqu'elle lui apprit son nom ; elle avait pensé qu'il devait s'écrire "Aelita". Et la maîtresse avait toujours raison. La fillette n'aimait pas cela, que son prénom soit bizarre. C'était bel et bien enfantin comme manière de penser mais cela lui semblait évident. Et puis, tous ses petits camarades de classe le lui disaient.
Elle arriva sur le porche, ouvrit la moustiquaire puis la porte vert foncé. L'odeur du vieux bois et ses craquements à chacun de ses pas la fit sourire ; elle les connaissait tous deux par coeur. Chaque fissure sur le sol était gravée dans son esprit, chaque marche grinçante de l'escalier était habilement évitée dans un geste presque machinal. À ce moment là, la fillette ne pensait pas à la ville et elle faisait bien. Car elle n'allait plus jamais retrouver cet endroit.
Aylita se posa sur un canapé et s'enroula dans un des châles de grand-mère. Bon-papa lisait en face d'elle mais releva les yeux pour la regarder avec tendresse et lui offrir un sourire qu'elle lui rendit avec naturel. Elle huma l'odeur du vieux châle avec une expression épanouie et ferma lentement les yeux alors qu'elle regardait les pieds chaussés de son grand-père. À quoi pouvait bien lui servir les chaussures dans l'entrée ? Elle se posait cette question alors que ses yeux étaient désormais clos, mais comme tous les enfants, elle oublia rapidement son interrogation. La fillette avait presque l'impression d'entendre le rocking-chair se balancer dans un craquement régulier. Ce n'était pas vraiment impossible mais peu probable, elle en avait un souvenir tellement clair qu'elle pouvait se l'imaginer sans peine. Bientôt viendrait le bruit des criquets. Oui, elle connaissait cet endroit par coeur.
Tally se réveilla en sueur et se redressa d'un bond. Alors que sa respiration se faisait haletante, elle se rendit compte qu'elle pleurait. Des larmes brulantes coulaient le long de ses joues. Depuis combien de temps n'avait-elle pas rêvé de son enfance ? Elle n'aimait pas y penser. Cette époque qu'elle avait adorée n'était plus, elle n'avait jamais remis les pieds dans la maison à la porte vert foncé. Cela devait faire dix-sept ans aujourd'hui... Elle sourit en y pensant et se releva lentement pour se diriger vers le couloir.
Pieds nus comme autrefois, les cheveux détachés et ondulants comme avant, portant une robe à bretelles particulièrement fine et courte comme lors de ses premiers étés ; elle ressemblait presque à cette petite fille qu'elle avait été. Elle aimait cette légèreté qui la rendait pourtant nostalgique. La jeune femme ferma la porte de sa cabine derrière elle et s'assit contre la paroi du couloir. Il faisait frais ici, elle trouvait cela agréable même si dans sa tenue légère, elle frissonnait quelque peu.
Les yeux toujours rougis, elle pensait à ce rêve dont elle avait déjà dû mal à se souvenir. Le jaune du blé, l'or orangé du soleil, le mauve des pruniers, le bleu électrique du vaisseau, la porte vert foncé de la petite maison. Elle n'aimait pas y penser, elle n'aimait pas envier cette petite fille courant pieds nus dans les champs. Le paysage dessiné à la pastel semblait toujours rayonnant mais elle n'y avait pas droit, alors que l'enfant était toujours là ; rieuse.
Tally ferma les yeux en posant ses doigts sur le pendentif qui pendait à sa chaine et expira lentement pour se calmer. Elle avait toujours agit ainsi, depuis qu'elle avait reçu l'objet en argent. La jeune femme ne se rappelait même plus de sa provenance. Tout ce qu'elle savait c'était que quelqu'un le lui avait offert. Elle s'imaginait souvent qui cela pouvait bien être mais n'arrivait pas à se faire une idée claire. Elle aurait aimé remercier celui qui le lui en avait fait cadeau.
Elle soupira, elle aimait laisser son esprit vagabonder ainsi mais savait qu'elle ne pouvait pas se laisser aller. Tally allait bientôt reprendre ses fonctions d'infirmière sur le vaisseau, elle en était déjà fatiguée. En attendant, le froid du sol contre ses cuisses nues et la brise, qui venait d'on ne sait où, et qui jouait avec ses cheveux étaient tous deux reposants.
CODAGE © CÉLESTINE